L’approche intégrée de lutte contre la malnutrition chronique

 

​Thematic article

L’approche intégrée de lutte contre la malnutrition chronique : Expériences du programme Nutrition dans la province du Sud-Kivu,
En République Démocratique du Congo

Eustache Ndokabilya Dunia




I.    Généralités
Qu’est-ce la malnutrition ? Selon l’UNICEF, c’est un état pathologique résultant d’une alimentation insuffisante en qualité comme en quantité par rapport aux besoins de l’organisme. Il existe deux grandes formes de malnutrition :

  • La malnutrition chronique qui se détecte grâce au rapport taille/âge.

  • La malnutrition aiguë modérée ou sévère, stades constituant une urgence médicale et nécessitant une prise en charge rapide, qui se détecte grâce au rapport poids/taille.

La malnutrition aiguë se développe rapidement, en lien avec une situation ponctuelle de manque ou de manques répétés (période de soudure, épidémie sévère, changement soudain ou répété dans le régime alimentaire, conflit…). Tandis que la malnutrition chronique se développe lentement, en lien avec une situation de pauvreté structurelle, notamment quand l’alimentation n’est pas équilibrée. Si un enfant est atteint de malnutrition chronique pendant une période prolongée, il souffrira rapidement d’un retard de croissance. Ses défenses immunitaires sont très affaiblies, et de ce fait, il est davantage confronté aux risques de maladies (diarrhées, paludisme…).

Ainsi la malnutrition chronique réduit les chances de survie de l’enfant tout en affectant sa santé et en faisant obstacle à une croissance optimale. Le retard de croissance est associé à un développement cérébral non optimal, susceptible d’avoir des répercussions durables sur les capacités intellectuelles, les performances scolaires et la rémunération future. Elle freine la croissance économique et perpétue la pauvreté, par le jeu de trois facteurs :

1.    Les pertes directes de productivité liées au mauvais état physique
2.    Les pertes indirectes dues à la mauvaise fonction cognitive et aux déficits de scolarisation
3.    Les pertes résultant de l’augmentation des couts des soins de santé.

Cependant, la réduction des retards de croissance et autres formes de sous-nutrition peut être obtenue par des interventions en prenant le soin d’agir au bon moment : la période critique des 1000 premiers jours couvrant la grossesse et les deux premières années de la vie de l’enfant.  Il faut aussi souligner la nécessite de dépasser l'approche biomédicale classique et les solutions isolées face à la causalité complexe des problèmes nutritionnels et leurs liens très étroits avec les facteurs socio-économiques, environnementaux et la gestion des ressources (Stratégie Nutrition 2014-2016, UNICEF).



II.    Contexte spécifique de la République Démocratique du Congo
La République Démocratique du Congo (RDC), à elle seule retient 6 millions d’enfants malnutris chroniques. La prévalence actuelle de la malnutrition chronique en RDC est estimée à 43% (EDS 2013-2014). Parmi les 26 provinces de la RDC, le Sud Kivu tient la tête du classement en matière de retard de croissance avec une prévalence de 53% (EDS 2013). La situation de la malnutrition demeure donc un problème majeur de santé publique.

La RDC connait depuis plus d’une décennie des sérieux problèmes de nutrition. Ces problèmes sont complexes et différents d’une province à une autre ils affectent pas seulement les jeunes enfants, mais aussi les adultes spécialement les femmes enceintes et allaitantes.
Toutes les provinces ont des taux de malnutrition chronique inacceptables.  21 provinces sur le 26 ont des taux qui dépassent 40% seuil de sévérité, six provinces dépassent même le seuil d’urgence de 50%.
Le faible niveau des recettes publiques continue de contraindre considérablement les investissements nécessaires pour la fourniture des services sociaux de base aux populations. Le financement de la santé en RDC (14%) repose principalement sur l’aide extérieure et les paiements directs effectués par les ménages.

Les causes de la malnutrition:

  • 52% des nourrissons de moins de 6 mois ne sont pas allaités exclusivement au sein.

  • 9.3% seulement des enfants de 6 à 23 mois reçoivent une diète minimale acceptable.

  • 38% de la population avec un régime alimentaire pauvre et limité.

  • 18% des ménages a accès à une source d’eau améliorée.

  • 18% des ménages utilisent un assainissement approprié


III.    Contexte spécifique du Sud-Kivu
Au Sud-Kivu, la malnutrition demeure un problème majeur de santé publique et surtout de développement avec 53% d’enfants de moins de 5 ans avec malnutrition chronique. La Province du Sud-Kivu dispose de beaucoup de potentialités, surtout agricoles, mais leur exploitation est soumise à des contraintes diverses. La guerre a occasionné des pertes en vies humaines, des déplacements massifs de populations et la destruction des infrastructures socio-économiques de base. Le territoire de Kalehe est l’un des huit territoires de la Province du Sud-Kivu en République Démocratique du Congo. Selon l’enquête nutritionnelle territoriale organisée en 2013, le territoire de Kalehe est le plus affecté par la malnutrition chronique avec une prévalence de 66% dépassant la moyenne provinciale de 53% (EDS 2013-2014) de même la population est très exposée à l’insécurité alimentaire, 76.7% (FAO, avril 2013).  Situées respectivement à 83 km et 150 Km de Bukavu, les zones de santé de Bunyakiri et Minova sont deux des 4 zones que compte le territoire de Kalehe.

IV.    Programme nutrition One UN au niveau régional
La malnutrition est un défi multisectoriel qui exige que tous les acteurs travaillent ensemble en synergie pour fournir aux populations les plus vulnérables des aliments sains et nutritifs, des services de santé essentiels, de l’eau potable et des systèmes d’assainissement fonctionnels. Ainsi la DCC soutient une approche intégrée et multisectorielle dans la lutte contre la malnutrition chronique dans les Grands Lacs avec une logique multi acteurs. Tant des actions spécifiques (pratiques et comportements alimentaires, enrichissement des aliments, supplémentation en oligoéléments) que des actions sur les déterminants de la nutrition (agriculture, éducation, protection sociale, soins de santé) sont mises en œuvre de manière synergique. La mise en œuvre décentralisée du programme renforce les capacités des autorités locales. De même que son intégration directe dans les communautés favorise l’appropriation et les changements de comportement. Finalement le programme appuie les engagements pris par les pays dans le cadre du mouvement Scaling Up Nutrition (SUN).

Grâce à la contribution de la DDC, le programme est mis en œuvre par quatre agences des Nations Unies (UNICEF, FAO, PAM et OMS). Les activités ont débuté en tant que projet pilote au Rwanda et au Burundi en 2013. L'approche a atteint sa pleine dimension régionale en 2015 lorsqu'un accord avec l'UNICEF, la FAO et le PAM a été signé pour le Sud-Kivu.

V.    Défis du programme nutrition au Sud-Kivu
La première phase du programme au Sud-Kivu s’est terminée au 31 août 2017. La réduction de la prévalence de la malnutrition chronique pour la période de cette phase reste un pari loin d’être gagné en considérant l’ampleur de la situation dans le territoire de Kalehe (66%, enquête territoriale avril 2013). Cette situation requiert une approche basée sur la durée (10-15ans) si l’on veut espérer obtenir des changements en rapport avec les pratiques de l’alimentation du nourrisson et du jeune enfant. Jusqu’à présent l’intervention n’a pas encore permis un accompagnement suffisant des communautés bénéficiaires pour la consolidation de ces acquis.

En outre, le programme n’a été implémenté que dans la ZS de Bunyakiri avec seulement 13 aires de santé sur 22 couvertes par les composantes de nutrition, sécurité alimentaire et eau-hygiène assainissement et 4 aires de santé par la composante eau-hygiène et assainissement. D’où la nécessité de consolider les acquis dans la zone de santé de Bunyakiri et d’étendre le modèle dans le territoire. Il convient de noter que ce projet et l’engagement des autorités au niveau décentralisé demeurent un modèle d’une stratégie multisectorielle qui alimente le dialogue politique au niveau régional et national. Les résultats et l’opérationnalisation des interventions des secteurs à Bunyakiri, dans la lutte contre la malnutrition chronique sont des évidences factuelles de ce qui fonctionne dans un contexte rural très affecté par ce fléau. Le projet a permis d’améliorer, entre 2015 et 2017, l'état nutritionnel de 80% des enfants de 0 à 23 mois et des femmes enceintes et allaitantes, la diversité alimentaire au sein des 94.7 % ménages assistés.

VI.    Leçons apprises de 2015-2017

  • La réponse multisectorielle permet d’améliorer l’offre de services en nutrition, et accroit l’impact du paquet d’intervention.

  • Une meilleure coordination des intervenants (acteurs en santé et en agriculture) autour des autorités locales est un gage d’efficacité et de pérennité pour ce type de projet.

  • Le renforcement de la dynamique communautaire stimule l’utilisation des services de santé et des initiatives de développement local.

  • L’implication au niveau local du bureau central de la zone de santé et des autorités politico administratives dans le suivi et coordination du projet facilite la compréhension de l’approche multisectorielle et l’intégration des autres secteurs dans les aires de santé.

  • L’aspect d’intégration des quatre composantes est efficace quand toutes les interventions du projet se réalisent autour d’un seul cadre de coordination communautaire.

  • Le soutien et l’harmonisation des systèmes de collecte et d'analyse des données sectorielles au niveau de la zone de santé devraient être envisagés dans un cadre normatif intégré (nutrition, sécurité alimentaire, économie des ménages, étude des marchés, accès à l’eau potable et l’assainissement, etc.) afin d’établir une base référentielle d’informations cohérentes et comparables qui faciliterait la documentation et la réorientation du programme.



VII.    Interventions de la nouvelle phase 2017-2020
Basés sur les bonnes expériences de la première phase, la deuxième phase du programme nutrition au Sud-Kivu intègre davantage les composantes nutrition, sécurité alimentaire et eau-hygiène et assainissement.





VIII.    Objectifs du programme

L’objectif principal du programme intégrée nutrition vise à réduire la prévalence de la malnutrition chronique dans les zones de santé de Bunyakiri et de Minova dans le territoire de Kalehe au Sud-Kivu d’ici deux ans (de 71% à 63% à Bunyakiri et de 66% à 60% à Minova)

Objectifs spécifiques

  • OS1 : Assurer la couverture d’un paquet d’interventions directes à haut impact de nutrition auprès des 100% des enfants de 0-23 mois, et femmes enceintes et allaitantes ciblés par le programme.
  • OS2 : Assurer qu’au moins 70% de la population dans la zone d’intervention aient accès à l’eau potable, et disposent des latrines hygiéniques et 80% de la population adoptent des pratiques adéquates d’hygiène.
  • OS3 : Assurer qu’au moins 80% des ménages ayant des enfants de 6-23 mois ont la disponibilité et l’accès à une alimentation diversifiée et de bonne qualité.
  • OS4 : Rendre fonctionnels et dynamiques des mécanismes de coordination multisectorielle et de suivi et évaluation et de gouvernance de la nutrition au niveau local, des zones de santé et de la province et assurer la gestion de connaissances : la recherche opérationnelle, la documentation sur le modèle et la capitalisation des expériences. Les échanges avec les autres 2 pays (Ruanda and Burundi) de la région des grands Lacs sera assuré afin d’apprendre des autres expériences similaires.


IX.    Stratégies
Approche communautaire: La mise en œuvre est bâtie sur une approche communautaire et multisectorielle, avec une priorité accordée à la coordination et à l’ancrage institutionnel des structures chargées de la nutrition, eau, hygiène et assainissement, santé et agriculture à tous les échelons administratifs (province, territoire, collectivité, village).

Le programme soutient la mise en place de la nutrition à assise communautaire qui s’appuie sur les bénévoles et les leaders d'opinion pour engager leurs communautés dans un dialogue continu sur les pratiques adéquats d’alimentation des nourrissons et des jeunes enfants, les pratiques de soins de l'enfant et de la sécurité alimentaire des ménages. Les principaux acteurs sont organisés autour des cellules d’animation communautaire (CAC), organisations paysannes et CODESA. Cette approche favorise l’appropriation et la durabilité des interventions. Mais le principe de bénévolat est un facteur démotivant des acteurs communautaires.

Renforcement des capacités : Les interventions reposent essentiellement sur le renforcement des capacités des agents de la santé, de l'agriculture et des agents communautaires. Le personnel des structures de soins et les autres intervenants du secteur agricole y compris les acteurs communautaires sont formés sur le conseil en alimentation des nourrissons et des jeunes enfants, la prévention de la malnutrition chronique, la diversification alimentaire, les pratiques familiales essentielles et le suivi par des visites à domicile. Les bénéficiaires des interventions sécurité alimentaire sont formés sur la multiplication et diffusion des semences vivrières bio fortifiées, les interventions agricoles sensibles à la nutrition la valorisation post récolte de produits agricoles locaux la fabrication de foyers améliorés à bois portables.

La documentation et gestion des connaissances. Elle est développée pour toutes les composantes du programme tant pour les expériences opérationnelles et de synergie que pour des leçons apprises car le programme sert de modèle qui pourra être applicable ailleurs.

X.    Partenariat et coordination
Agences d’implémentation: FAO, PAM, UNICEF

L’UNICEF comme Agence Administratrice a la responsabilité de faciliter les arrangements relatifs à la gestion financière et la coordination du programme. Un coordinateur principal du programme basé à l’UNICEF-Bukavu est appuyé par un staff en backstop à Kinshasa et sont responsables d’assurer la liaison avec les autorités locales et les autres agences impliquées dans ce programme, les partenaires de mise en œuvre, de la coordination et du suivi de la mise en œuvre efficiente. Deux coordonnateurs locaux du programme en appui technique aux bureaux centraux de santé à Bunyakiri et à Minova assurent la coordination de la mise en œuvre des activités sur le terrain et font le suivi avec les partenaires locaux.

Autres partenaires: Gouvernement provincial et local, Bureaux centraux de deux zones de santé (Bunyakiri et Minova), Société civile et ONG Internationales et locale.
Le Programme dispose de deux organes de gestion suivants : (i) le Comité technique et de coordination du programme, constitué de représentants de l’UNICEF, FAO, PAM, les services techniques étatiques, les coordinateurs (principal et local) du Programme, (ii) les partenaires ONG de mise en œuvre du programme.

Quant à la coordination locale, elle est faite en capitalisant les leçons apprises de la phase 1, et le programme s’appuie sur les cadres de coordination existants : le comité provincial multisectoriel de nutrition présidé par le gouverneur de province, le comité territorial multisectoriel de nutrition au niveau de Kalehe sous la direction de l’administrateur du territoire, le comité local de suivi dirigé par le chef de poste d’encadrement à Bunyakiri et à Minova. Au niveau national, la coordination du réseau de Nations Unies dans le cadre du mouvement « SUN- Scaling Up Nutrition » se réunit de manière fréquente dans le cadre de la coordination des agences pour la nutrition et un point de suivi du programme conjoint de Sud-Kivu. Dans le cadre de GIBNUT ou groupe inter-bailleurs pour la nutrition, une coordination est assurée entre les bailleurs.

Contact:
Eustache Ndokabilya Dunia, Chargé de Programme Santé
Direction du Développement et de la Coopération DDC
Bureau de Coopération suisse Grands Lacs, République Démocratique du Congo
Email : eustache.ndokabilya-dunia@eda.admin.ch