Do not shoot the ambulance

 

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« Do not shoot the ambulance: Protect the medical mission», Politorbis no. 65, January 2018


Manuel Bessler - Délégué du Conseil fédéral à l’aide humanitaire, Chef du Corps suisse d’aide humanitaire et Vice-Directeur de la Direction du développement et de la coopération (DDC)


INTRODUCTION


Hôpitaux bombardés délibérément, convois de secours pris pour cible, civils fuyant les zones de guerre dans le viseur de combattants, personnel soignant et patients persécutés. Face à la brutalité croissante des conflits armés, le respect du droit international  humanitaire est plus important que jamais. Les conflits modernes vont-ils anéantir certaines des valeurs universelles comme la protection des blessés et des malades lors de conflits armés? Comment protéger les patients, le personnel médical et les hôpitaux aujourd’hui ? C’est le type de questions très actuelles qui sont abordées dans ce numéro de Politorbis.


Quand j’étais jeune délégué au CICR, au début de ma carrière, la protection de l’emblème de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge ainsi que des structures sanitaires en général, était une donnée bien établie et universellement reconnue. Basée  sur les Conventions de Genève, cette protection était acceptée et il semblait peu envisageable de remettre ces acquis humanitaires fondamentaux en question.

Les violations du droit international humanitaire (DIH) commises par des armées officielles ainsi que par des groupes armés non étatiques sont devenues récurrentes dans de nombreux pays, comme en Syrie, au Yémen, en Lybie, en République Centrafricaine, en Irak, au Pakistan, en Palestine, en Ukraine, au Soudan du Sud et au Soudan, pour ne citer que quelques pays concernés.

Jusqu’il y a peu, hôpitaux et écoles pouvaient légitimement être considérés comme des lieux suffisamment sûrs, y compris dans un contexte de conflit armé; aujourd’hui, ce sont des cibles. De même, les organisations humanitaires se trouvent confrontées à des obstacles et risques aggravés lorsqu’elles veulent établir un accès rapide et sans entraves aux populations dans le besoin. Les conséquences de ce climat d’insécurité sont graves: l’action humanitaire souvent ne va pas à ceux qui sont les plus nécessiteux, les plus vulnérables;  nous nous trouvons contraints de la déployer là où elle reste possible sans mettre immédiatement en péril la vie et l’intégrité physique de nos équipes.

CICR, OMS, MSF, Handicap International : entre constat et révolte
 
Le CICR est directement concerné par ce thème, non seulement  à cause de sa mission de servir les populations civiles et les personnes hors de combat en temps de conflits armés et à cause de la vie de ses collaborateurs mise en danger sur le terrain, mais aussi en vertu de son rôle de gardien du DIH. La dégradation de la protection médicale  est principalement due  au fait que  les conflits se prolongent et que les hostilités se déroulent généralement dans des environnements urbains où la population civile et les infrastructures civiles deviennent des cibles de plus en plus fréquemment. La prolifération et la fragmentation d’acteurs armés et l’explosion du nombre de déplacés à l’intérieur de leur pays et à travers des frontières, compliquent encore la donne.

En 2008, le CICR a commandité une étude sur la violence contre les installations de santé dans 16 pays. Les résultats  ont révélé une situation grave et encouragé le CICR à s’engager dans une lutte déterminée en faveur de la protection de la mission médicale. Sur la base d’innombrables ateliers et autres conférences, le CICR a lancé son initiative « Health Care In Danger » (HCID) en 20111 . Consolidé par de vastes consultations, le CICR a élaboré un document qui recense pas moins de 150 recommandations. 

Le CICR est donc devenu un acteur incontournable qui joue un rôle central sur cette question. Il engage des moyens considérables à cet effet et fédère un nombre impressionnant d’acteurs concernés par cette problématique, y compris des militaires et des groupes armés non-étatiques. L’engagement résolu de l’institution et de son président qui sillonne le monde inlassablement et encourage ses équipes sur les terrains les plus dangereux est à la hauteur de l’enjeu : garantir la protection de la mission médicale.
 
L’OMS est également un acteur incontournable, notamment de par son mandat très  spécifique. Avant l’implication de l’OMS sur cette question,  il n’existait pas une base de données fiable et complète recensant  les attaques sur la mission médicale. Le CICR et MSF, tout comme d’autres, collectent certes des données sur la question, mais essentiellement sur les attaques les impactant directement.  La fameuse Ecole de santé publique de l’Université de John Hopkins à Baltimore s’est par exemple aussi lancée dans cet exercice en 20172. Des tentatives régionales ont vu le jour, comme l’ONG Union of Medical Care and Relief Organisation qui fait ce travail de recensement pour son propre compte en Syrie3.


L’organisation la mieux placée  pour procéder à cet exercice complexe de manière systématique est sans conteste l’OMS.  Soutenue par plusieurs pays, l’OMS a lancé un projet nommé “Attacks on Health Care”, que l’Aide humanitaire de la Suisse cofinance. Le Dr. Rudi Coninx, Chef a.i. de l’Humanitarian policy and Guidance à l’OMS dirige ce travail et en présente ici le cadre et les objectifs principaux.


En tant que responsable des questions de sécurité chez MSF, François Delfosse est bien placé pour parler de la protection de la question médicale, d’autant qu’il a été le témoin direct de graves attaques d’infrastructures sanitaires de MSF dans divers pays. L’attaque très médiatisée de l’hôpital de Kunduz par l’armée américaine en Afghanistan en octobre 2014 a marqué un tournant dans la prise en compte de ce phénomène au plan mondial. 42 personnes ont été tuées à cette occasion, dont 14 collaborateurs de MSF. A la suite de l’enlèvement de 5 de ses expatriés en Syrie en 2014, MSF s’est retiré des zones contrôlées par le groupe Etat Islamique (EI). Ces événements ont conduit MSF à revoir ses modalités d’intervention en profondeur. La sécurité  a encore accru son importance et une stratégie de « déconfliction »  définie comme un processus de négociation avec tous les opérateurs armés visant à éviter les interférences mutuelles, à prévenir les incidents en assurant le respect de l’espace médical et humanitaire par tous les acteurs concernés, y compris ceux désignés comme « terroristes » si nécessaire, est désormais appliquée lors de chaque intervention.

MSF est un opinion-leader qui jouit d’un large soutien dans la société civile et qui joue un rôle de premier plan dans la prise de conscience de l’opinion publique internationale sur la protection de la mission médicale comme sur d’autres thèmes. On se souvient de l’opération spectaculaire où l’hôpital de Genève était illuminé pour illustrer à quoi ressemble un hôpital bombardé et en feu.  MSF a aussi réalisé un film de réalité virtuelle utilisé comme outil de plaidoyer destiné à sensibiliser les spectateurs à l’ignominie que représente l’attaque d’un hôpital. L'effet est saisissant.


MSF est ainsi devenu un acteur incontournable quand la protection médicale est évoquée au niveau international et participe à toutes les réunions consacrées à ce thème au même titre que les Etats. Comme l’article très documenté de François  Delfosse l’illustre pleinement, MSF poursuit dans sa voie pionnière et militante.

Dans un vibrant plaidoyer dénonçant l’utilisation des armes explosives contre les populations civiles dans le conflit syrien, la responsable de Handicap International Suisse montre les ravages souvent irréversibles causés par ce type de bombes. L’intérêt de ce cri du cœur tient surtout au fait que les données rapportées sont le résultat d’une étude très fouillée qui vient de paraître et qui dépeint les conséquences de la destruction des hôpitaux et autres infrastructures en reproduisant des témoignages particulièrement  saisissants. Elle constitue l’analyse la plus approfondie et la plus documentée menée à ce jour sur les destructions qu’a connu ce pays ravagé par la guerre.
 
La Suisse s’engage
L’article d’Oliver Hoehne montre comment la Mission de la Suisse auprès des organisations internationales à Genève a joué un rôle décisif  dans l’avancement de la cause de la protection de la mission médicale. La Mission Suisse à Genève a multiplié les initiatives, les débats, les ateliers et autres rencontres formelles et informelles qui ont contribué à créer un climat favorable à la promotion  de mise en œuvre de la Résolution 2286 du Conseil de Sécurité. 

C’est à juste titre que l’article relève l’importance de l’existence d’un « hub humanitaire » très dense à Genève, sur lequel la Mission de la Suisse à Genève s’est largement appuyé pour enraciner son action et faire aboutir ses initiatives, en collaboration avec la Mission du Canada et d’autres missions permanentes.
 
Même si le vote unanime des Nations Unies en 2016 en faveur de la Résolution 2286 est considéré par les observateurs comme un succès majeur du multilatéralisme, il n’a pourtant pas été suivi d’effet notable sur le terrain. Cela a été  relevé par les participants au Side-Event que j’ai dirigé au Palais des Nations à Genève dans le cadre du segment humanitaire du Conseil économique et social (ECOSOC) au mois de juin 2017.

Entre droit et morale
C’est avec raison qu’une large section de ce numéro de Politorbis est consacrée aux questions juridiques liées à la protection de la mission médicale. La contribution captivante de Jonathan Cuénoud montre les enjeux qui sous-tendent les débats juridiques actuels concernant la protection de la mission médicale. Cuénoud  commence par rappeler qui et quoi bénéficient de la protection  octroyée par le DIH  (les personnes hors de combat, soit les civils, les blessés et malades, les prisonniers, le personnel sanitaire, ainsi que les biens et objets civils et sanitaires) et il précise que les dispositions relatives à la mission médicale sont aujourd’hui largement reconnues comme des règles coutumières. Elles s’imposent donc, dit-il, « à toutes les parties en conflits, qu’ils soient internationaux ou non-internationaux ainsi qu’aux Etats qui ne seraient pas parties aux traités pertinents ». Ensuite, Cuénoud traite des difficultés d’interprétation liées à la perte de protection spécifique de la mission médicale et à la notion d’ «actes nuisibles à l’ennemi » qui n’est pas clairement définie en DIH.

Il aborde également le rôle complémentaire joué par les droits de l’homme et affirme que les règles de protection octroyées par le DIH sont en quelque sorte au service du droit international des droits de l’homme et plus particulièrement du droit à la santé et du droit à la vie dont jouit toute personne.

Dustin A. Lewis, Naz K. Modirzadeh et Gabriella Blum de la Harvard Law School examinent cette problématique dans leur ouvrage Medical Care in Armed Conflicts : International Humanitarian Law and State Responses to Terrorism paru en septembre 20154. Le texte reproduit ici est un résumé de cette recherche soutenue par le DFAE (Division Sécurité humaine de la Direction politique). Les auteurs affirment que l’amalgame qui est parfois fait entre le DIH et le cadre juridique applicable à la lutte contre le terrorisme peut avoir des répercussions négatives sur la protection de la mission médicale. En réprimant par exemple des médecins qui soignent des personnes listées comme terroristes, les Etats enfreignent le DIH.


Daniel Messelken poursuit ses recherches sur les questions d’éthique militaire depuis de nombreuses années au centre d’éthique de l’Université de Zürich qu’il dirige. Il montre dans son article la situation ambigüe dans laquelle se trouve un médecin militaire loyal envers sa hiérarchie et tenu aussi à respecter les impératifs d’assistance médicale neutre envers tous ceux qui nécessitent des soins.  C’est la question éthique qui est posée et qu’il est difficile pour un individu de résoudre aisément dans les situations  de conflit de rôle auxquelles il est confronté, comme il le montre à l’aide de nombreux exemples. La réflexion sur les dilemmes éthiques qui est entamée ici doit être approfondie et intégrée dans la pratique, car les militaires sont évidemment au cœur des conflits et de leur gestion, et partant, de la protection de la mission médicale. Ils ont un rôle à jouer dont le contenu reste encore largement à définir.


Pour conclure, je voudrais remercier tous ceux qui ont prêté leur concours à la réalisation de ce numéro de Politorbis, tous les auteurs, mais aussi la division Afrique de l’Aide humanitaire de la Suisse et particulièrement Pierre Maurer qui en a eu l’idée et qui en a assuré la réalisation.

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[1] ICRC, Health Care in Danger: A Sixteen Country Study, Geneva, 2011
[2] John Hopkins, Impunity Must end: Attacks on health in 23 countries in Conflict in 2016, Baltimore, MD, 2016
[3] L’ONG « Union of Medical Care and Relief Organizations » (UMCRO) publie un document intitulé Syria Monthly Hospitals Report qui fait le décompte des informations disponibles chaque mois sur les attaques des missions médicales en Syrie.
[4] Disponible sur  SSRN: https://ssrn.com/abstract=2657036