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2.1 Les médias, pilier essentiel de toute société démocratique

Les médias sont des intermédiaires indispensables entre les individus et le reste de la société. De plus, ils contribuent à façonner la nature même de la société en jouant un rôle de charnière entre les citoyens et les événements d’actualité, ainsi que les institutions sociales, économiques, culturelles et politiques. Les médias représentent également des canaux pour que ces institutions puissent interagir avec les citoyens. 

À l’ère du numérique, le terme de «  média  » est parfois utilisé pour désigner, sans distinction, toutes les technologies de l’information et de la communication (TIC) (par exemple les téléphones portables et les plateformes des médias sociaux comme Twitter, Facebook, WhatsApp et YouTube). Toutefois, dans le présent document, le terme de « média » ne doit pas être confondu avec de simples canaux de communication. Ce terme est employé ici pour désigner tant les médias en ligne que les entreprises de médias traditionnelles telles que celles de la presse écrite, les stations de radio et de télévision, mais plus précisément les médias qui sont appelés à respecter scrupuleusement la déontologie journalistique, ainsi que d’autres normes professionnelles, et qui ont dès lors des rôles spécifiques à jouer.

En 2015, Mungiu-Pippidi a publié les résultats d'une importante analyse des données disponibles sur la corruption. Le rôle d'un média libre a été l'un des plus grands facteurs de limitation de la corruption (aux côtés d'autres acteurs, tels que la société civile). Mungiu-Pippidi a conclu:

“Nous avons trouvé des preuves qu'une société peut contraindre ceux qui ont de meilleures chances de gâcher les ressources publiques si les médias libres, la société civile et les citoyens critiques sont suffisamment forts.” (traduit de l'anglais)

Mungiu-Pippidi, A. (2015) The Quest for Good Governance: How Societies Develop Control of Corruption. Cambridge University Press, p.56


Le rôle principal attribué aux médias et aux journalistes est de rendre compte de ce qui se passe dans le monde et de fournir des informations d’intérêt public impartiales et factuelles. C’est ainsi que les médias peuvent aider les citoyens à prendre des décisions en connaissance de cause et à gérer leurs affaires de manière autonome.

Mais le travail des médias et des journalistes ne fait pas que refléter la réalité, il la construit également. Les médias peuvent soit équilibrer, soit amplifier une «  asymétrie naturelle de l’information  » entre les gouvernants et les citoyens, ou entre les groupes marginalisés et le reste de la société (Islam 2002). Par leur apport à une sphère publique plus ouverte et plus disposée au débat, les médias peuvent contribuer à identifier les intérêts communs et les identités partagées au sein de la société, et à élaborer des solutions consensuelles aux conflits. 

Les médias sont aussi susceptibles de jouer un rôle de sentinelle (watchdog), parlant au nom des citoyens, révélant les abus de pouvoir, défiant l’autorité politique et demandant des comptes aux personnes qui détiennent le pouvoir.

En tant qu’intermédiaires, les médias assument donc de multiples rôles :

  • Diffuser des informations sur les sujets importants ;

  • Donner la parole aux différentes composantes de la société, y compris les groupes marginalisés ;

  • Fournir un forum d’échanges et de dialogue ;

  • Fournir aux acteurs politiques des moyens d’attirer l’attention du public, de communiquer et d’interagir avec les citoyens ;

  • Remplir une fonction de surveillance par rapport à ceux qui détiennent le pouvoir ;

  • Influencer la perception des normes et des réalités sociales ;

  • Contribuer à l’intégration sociale.


Considering these multiple roles in state and society, it is evident that a healthy media sector is an important factor in promoting inclusive and effective development. It contributes to the achievement of the Sustainable Development Goals (SDGs) and Agenda 2030, particularly SDG 16, by fostering inclusive, just and peaceful societies.

Toutefois, les médias ne sont souvent pas à la hauteur de leurs responsabilités en tant que fournisseurs d’informations d’intérêt public, de plateformes de dialogue inclusif et de sentinelles qui dénoncent les abus de pouvoir face aux autorités. Au lieu de cela, les médias agissent souvent comme porte-voix des puissants, rapportant des rumeurs sans les vérifier, discriminant les minorités et alimentant la polarisation des sociétés. Aujourd’hui, dans de nombreux contextes, le secteur des médias est confronté à d’importants défis, comme discuté plus bas.
  • L’espace public s’amenuise

De plus en plus, les médias sont confrontés à des mesures visant à museler les critiques et à exercer une surveillance. Les législations restrictives, les mesures juridiques répressives, les entraves aux revenus publicitaires et la violence physique viennent restreindre la liberté des médias. Ces facteurs bafouent plusieurs droits de l’homme, notamment le droit à la liberté d’opinion et d’expression, le droit à l’information et le droit à la vie. Il arrive trop souvent que ces menaces émanent de gouvernements, et lorsque qu’ils n’en sont pas les auteurs, que l’appareil étatique n’offre pas de solutions pour réprimer les agissements de ceux qui portent atteinte à la liberté des médias. 

Au début des années 2000, puis dans le sillage des Printemps arabes, l’optimisme vis-à-vis des technologies de l’information et de la communication était dans l’esprit du temps, mettant l’accent sur le potentiel d’autonomisation que représentaient les TIC. Or, aujourd’hui, une attention accrue est portée sur la contribution des TIC au rétrécissement de l’espace public. 

Partout dans le monde, les TIC sont à même de fournir des espaces alternatifs où la société civile peut s’organiser et collaborer. Mais elles mettent aussi à la disposition des gouvernements autoritaires et des acteurs privés des possibilités de surveillance et de censure inédites. Il est donc essentiel d’évaluer les risques liés à l’utilisation des TIC et de choisir les bonnes technologies en fonction du contexte local, notamment en formant les organisations partenaires en matière de cyber sécurité et, si nécessaire, en s’éloignant des espaces virtuels pour s’engager dans des initiatives visant à jeter des ponts hors ligne (voir p. ex. Widmer and Grossenbacher 2019).

  • Fracture numérique

Il importe également de se demander qui a accès aux différents types de TIC. Alors que l’usage d’internet et des téléphones portables est de plus en plus répandu, dans bien des contextes en développement l’écart est encore grand entre ceux qui disposent de ces technologies et savent les utiliser, et les autres. La fracture numérique risque ainsi de creuser davantage les inégalités existantes – par exemple, entre les zones rurales et urbaines, entre familles riches et familles pauvres, entre personnes instruites et personnes sans instruction, entre les jeunes générations et leurs aînés, ou entre les hommes et les femmes. (Dans les pays les moins avancés (PMA), l’utilisation d’internet par les femmes est, en moyenne, 31 % plus faible que celle des hommes (Sambuli 2018)). Les efforts doivent donc être axés sur l’humain, et non sur la technologie.

  • Une sphère publique plus fragmentée et polarisée

Les technologies numériques et mobiles fournissent à tous d’innombrables possibilités de s’informer. Dans ce déferlement d’informations, les algorithmes des médias sociaux et des moteurs de recherche sont conçus pour présenter aux utilisateurs les contenus en ligne sur lesquels ils sont le plus susceptibles de cliquer. Ces deux facteurs renforcent la tendance naturelle de chacun à consommer les informations qui confirment ses opinions préexistantes. Par conséquent, les utilisateurs sont toujours plus cloisonnés en groupes de personnes qui partagent le même avis. De ce fait, la capacité à trouver un terrain d’entente avec des groupes antagonistes diminue, de même que la confiance des citoyens en leurs institutions. Cela finit par miner les processus démocratiques de délibération, atomisant la sphère publique en petits groupes d’intérêts particuliers désormais incapables de se parler et de se respecter.

La mal-information et la désinformation sont une source de tension sociale et de conflit, mais un problème plus large est la fragmentation et la fracture croissantes des médias et le déclin des médias indépendants capables d'engager les gens au-delà des lignes de fracture de la société. La capacité des sociétés à négocier la différence a également été sapée, car les canaux de débat public, les espaces publics partagés et les points de référence fiables pour la conversation publique nationale ont souvent connu un déclin marqué ces dernières années. La suspicion et, souvent, la condamnation ou la stigmatisation de "l'autre" dans la société ont augmenté.

James Deane, Fragile States: the role of information and communication, BBC Media Action Policy Briefing 2013

  • Des modèles d’affaires perturbés

Avec la numérisation des flux de communication se sont créées des situations de contrôle de type monopolistique et de captation des revenus provenant de la publicité et des abonnements par des acteurs tels que les GAFAM (Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft). Cette situation menace les modèles d’affaires, mais aussi l’avenir des médias consacrés à l’information. Dans ce contexte, la stratégie fréquemment suivie consiste à réduire les dépenses autant que possible, en mettant les journalistes sous pression afin qu’ils rédigent un maximum d’articles aussi vite que possible. Cela implique que les journalistes ont de moins en moins de temps pour faire des recherches et vérifier les informations. Ils recourent donc plus fréquemment aux articles des agences de presse, d’où des contenus médiatiques plus homogènes et moins intéressants pour le public, ce qui, en conséquence, affaiblit l’ancrage des médias dans la société.
  • Mésinformation et désinformation (1)

Les organes de presse moins viables sont plus facilement la proie des groupes d’intérêts politiques partisans. De plus, les médias sociaux et les moteurs de recherche créent la dangereuse illusion de pouvoir accéder à des flux d’information directs et gratuits, alors que les faux comptes et algorithmes des médias sociaux sont de plus en plus utilisés par ceux qui exploitent les revendications et les vulnérabilités des personnes afin de semer la confusion, ou de les manipuler pour se servir d’eux comme porte-voix.

Dès lors, la confiance envers les médias traditionnels et les journalistes en tant que gardiens de l’information s’effrite. Le rôle des journalistes tend à être ignoré parfois dénigré à une époque où la nécessité de disposer d’experts formés et rémunérés pour vérifier les informations et pour les hiérarchiser en fonction de l’intérêt public est plus forte que jamais. 

Il est essentiel de renforcer la capacité des médias à résoudre ces défis importants. C’est pourquoi la DDC poursuit son engagement en faveur d’un secteur des médias d’intérêt public en bonne santé.


(1) Définitions de désinformation, mésinformation et malinformation, voir glossaire (annexe 2)




 Ressources supplémentaires


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